Gershom Scholem et Henry Corbin

~David Bisson

Pour introduire cet article, je voudrais partir d’une citation de Heidegger qui correspondtout à fait à nos deux auteurs : « Plus grande est l’œuvre d’un penseur […] et d’autant plus riche est l’impensé qu’elle renferme, c’est-à-dire ce qui, pour la première fois, grâce à elle, monte à la surface comme n’ayant pas encore été pensé ».

Or, les œuvres de Scholem et de Corbin renferment une partie cachée, une partie voilée, de façon plus ou moins consciente d’ailleurs, qui n’est pas encore remontée à la surface de la pensée contemporaine. Ce qui explique sans doute l’actualité sans cesse renouvelée des deux œuvres. Nous n’allons pas ici sonder les profondeurs de cet impensé, mais tenter plus modestement d’en approcher certains espaces à travers les liens que Scholem et Corbin ont tissés pendant plus de 40 ans, de 1937 à 1978, date du décès de Corbin.

Pour comprendre cette relation, il est nécessaire de présenter en quelques mots leparcours des deux hommes ; parcours que l’on peut résumer à partir de trois dynamiquesconstitutives et similaires.La première puise ses racines dans une démarche historique rigoureuse et pionnière dansla mesure où Scholem et Corbin ont entrepris, chacun dans leurs domaines respectifs, unerecherche de grande envergure pour ne pas dire un travail de Titan.

Le premier a révélé tout unpan de l’histoire cachée, et peut être refoulée, du judaïsme jusqu’à créer une discipline scientifiqueà part entière : l’étude de la cabale compris dans son sens large comme l’étude de la mystiquejuive. Le second a déchiffré puis commenté de très nombreux textes arabes et persans jusqu’àretracer les grandes étapes d’une philosophie islamique dont on soupçonnait à peine l’existence,tout du moins en Occident.

La seconde dynamique prend forme dans la réflexion philosophique qui accompagne celabeur d’historien. En effet, les deux chercheurs se sont toujours efforcés de réfléchir leur objetd’étude au regard d’un contexte bien particulier, celui de la sécularisation des sociétés modernes. Autrement dit, ils cherchent à saisir le sens de leurs découvertes et donc le sens des traditionsspirituelles exhumées dans une époque où justement les dieux se sont évanouis. Corbin seprésente par exemple comme un « philosophe orientaliste » qui se donne pour mission de appeler « la vocation imprescriptible de l’âme iranienne ».
De son côté, Scholem se décritcomme « historien doué d’un sens philosophique ou philosophe qui avait des connaissanceshistoriques » et se donne pour mission de révéler « la vie secrète du judaïsme ».

La troisième dynamique relève justement de l’engagement personnel, sinon del’engagement existentiel, que l’on perçoit très bien à travers les deux formules précitées. Signe decet engagement fort, il faut rappeler que Scholem quitte l’Allemagne dès 1923 pour s’installer defaçon définitive à Jérusalem. De son côté, Corbin passe de nombreuses années, à partir de 1945,en Iran qu’il considère comme sa seconde patrie, celle du cœur et de l’esprit. Dans ce contexte,on peut se demander comment les deux jeunes chercheurs qui s’engagent corps et âme dans desrecherches tout de même très précises, voire hermétiques, parviennent à se croiser puis à serencontrer. N’oublions pas qu’à travers les deux hommes se joue aussi la rencontre entre deuxconceptions religieuses, entre deux espaces traditionnels : celui de la cabale hébraïque et celui dela théosophie islamique.

En savoir plus: Les Amis de Stella et Henry Corbin




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